@Laurent Cammal

Pour produire ses photographies minutieuses, Laurent Cammal investit des lieux condamnés à la démolition ou à une réhabilitation qui effacera totalement le souvenir des murs encore en place. De ces amas de gravats condamnés à l’indifférence, il tire des panoramas d’une blancheur immaculée, aux arrêtes parfois soulignées de noir, évoquant une harmonie totalement inattendue. Laurent Cammal a commencé sa pratique par le street art et le graffiti ; la toute puissance d’appropriation qu’ils permettaient par le recouvrement l’a immédiatement fasciné, au point qu’il creuse exhaustivement ce concept. Ce faisant, il a dépouillé son geste du masque que composait sa signature pour venir coller au vide du décor – il lui a rendu sa toute puissance symbolique pour souligner et différencier cet espace vacant pour lui-même. L’appropriation est alors mise en avant, comme la manière de doter un lieu d’une énergie à notre usage, de ne pas le laisser au néant de l’invisible. Elle permet de créer l’écart avec un état de nature qui nous est moins hostile qu’indifférent – un écart qui nous investit autant que nous l’investissons – d’où l’idée surprenante que Laurent Cammal puisse redonner vie et dimension politique à un espace « mort » par sa pratique quasi-clinique. Son geste fait ressortir d’autant la manière dont nous traitons ordinairement les espaces dans lesquels nous vivons, comme des décors passifs de nos drames, méprisés et insignifiants ; il illustre ainsi la déconsidération dont nous affligeons la matière de notre rapport au monde.

Dans sa dernière œuvre, Straight Line, Laurent Cammal pousse cette interrogation plus loin. Ayant pour une fois pu disposer d’un temps de préparation serein sans avoir à composer avec les dangers inhérents à un site retourné à l’état sauvage, il a créé une anamorphose complexe, prolongeant à l’infini les lignes architecturales d’un des sites momentanément survivants, en instance de reconstruction, qu’il affectionne. Désireux de retraduire l’énergie architecturale du lieu, il a inversé sa procédure habituelle : recouvrant intégralement l’espace de noir, il a souligné ses lignes directrices de blanc. Une nouvelle fois, cette démarche proche de l’abstraction théorique pure se révèle riche d’implications : elle retraduit dans l’espace le point de vue de l’architecte comme l’endroit exact où les lignes se marient pour créer l’harmonie ; elle rappelle ainsi la découverte de la perspective et la manière dont celle-ci a proprement révolutionné notre perception du monde et notre manière de l’investir. L’existence de ce point de vue « parfait » sous-entend celle d’un moment symétrique qui conditionne le geste perceptif : le regard n’est jamais neutre, sous le vernis de la rationalité.

L’anamorphose permet également de donner une dimension pratique à la théorie et d’expliciter la façon dont celle-ci, même sous sa forme pure, presque mathématique, est encore (ou déjà) une appropriation – elle est en cela un signe de l’humain qu’il ne faut pas traiter comme détaché du réel et permettant de le surplomber. Elle traduit enfin ce que l’appropriation spatiale peut avoir de transcendant, la manière dont elle ouvre la possibilité de concilier et d’ordonner les forces qui traversent le monde qui nous entoure pour créer un équilibre qui nous est propre. Ce passage par l’abstraction théorique pour rematérialiser l’espace dans sa dimension proprement vitale est certainement ce qui fait la force et la spécificité du travail de Laurent Cammal ; la perfection de ses rendus comme de ses impressions est aussi ce qui lui permet de nous atteindre dans cette démarche.

Michael Verger-Laurent

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